LA FENÊTRE D'EN FACE (extrait)

Ce même soir, à l’autre bout de la ville, rue Debussy, un vieil homme au crâne chauve, faisait fondre une pâte blanche dans une casserole. Trop épais, se dit-il. Il porta le récipient sous le robinet, y fit couler un peu d’eau et continuait de triturer la mixture tiède. Il se pencha un peu pour respirer les vapeurs qui s’en exhalaient. Mais se redressa bien vite en suffoquant. Je n’aurais peut-être pas dû mélanger tous les parfums, songea-t-il. Il s’enquit d’une bouteille d’huile d’olive, versa quelques gouttes dans le mélange, juste de quoi lier ensemble tous les ingrédients et couvrir légèrement les effluves qui devenaient de plus en plus désagréables. Il avait maintenant une pâte de consistance suffisamment épaisse pour la déposer dans les emporte-pièces qu’il avait précédemment fixés avec du blanc d’œuf sur une plaque huilée. Évidemment, le parfum qui se dégageait n’était pas terrible. Il fallait attendre qu’il refroidisse pour juger de sa qualité. Il se demandait encore s’il n’aurait pas dû y ajouter quelques gouttes d’essence de fleur d’oranger lorsque la sonnerie de l’entrée retentit. Il prit le temps de déposer sa plaque chaude et fragile sur le balcon qui donnait sur la cour.

– Voilà, voilà, j’arrive, – grogna-t-il à la seconde sonnerie, – y-a pas le feu quoi.

Il traversa la cuisine de son pas tranquille en traînant ses chaussons élimés. Il était déjà tard dans la nuit mais en cette période de pleine lune, l’obscurité n’était jamais totale, aussi n’avait-il allumé aucune lampe. Il ne s’inquiéta pas non plus de savoir qui pouvait lui rendre visite aussi tard puisqu’il le savait déjà.

– Vous êtes en retard, je vous attends depuis longtemps.

Le visiteur entra et pendant que le vieux refermait la porte derrière lui, consulta discrètement sa montre. Il était pile à l’heure, ni trop tôt, ni trop tard.